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Fini le goût du bouchon ...

Des biochimistes et des œnologues français ont inventé un dispositif qui permettrait d'enlever le goût de bouchon au vin, ce fléau qui touche 5 à 10% de la production vinicole mondiale. Révolution ou filouterie? Enquête, tests et dégustation dans les caves, auprès des spécialistes.

C'est la hantise des vignerons. Et de tout amateur de bon vin dès qu'il débouche une bouteille. Une odeur de carton mouillé en putrescence qui irrite le nez. Et en bouche, une aigreur qui rend un cru imbuvable.
Le goût de bouchon touche 5 à 10% de la production vinicole mondiale et entraîne des pertes annuelles qui ont été estimées à 540 millions d'euros pour 2004. Des chercheurs français affirment pourtant avoir trouvé la parade pour éviter l'évier à tout type de vin bouchonné. Leur dispositif, baptisé DreamTaste, consiste en une simple grappe en plastique qu'il faut faire tremper dans une carafe remplie du liquide à sauver, qu'il soit blanc, rosé, rouge, clair ou pétillant.
Lorsqu'il est bouchonné, le vin contient, dans la plupart des cas, des molécules inhabituelles: les trichloroanisols, ou TCA. «Les extraire suffit à annihiler les déviances organoleptiques qui y sont associées, explique Gérard Michel, du laboratoire Vect'Oeur, à Savigny-lès-Beaune (Côte d'or). La grappe agit comme un aimant. Elle piège ces molécules, et seulement elles.» Avec un collègue œnologue, ce biochimiste a mis vingt ans à perfectionner son dispositif, qu'il a breveté. Difficile donc d'en savoir davantage sur son mode d'action, si ce n'est qu'aucun produit chimique n'entre en jeu. «Le plastique utilisé est un copolymère chargé d'électrons libres, poursuit-il tout de même. Les TCA étant électrophiles, elles viennent chercher ces électrons sur la grappe, et s'y fixer.» Selon l'importance du goût de bouchon, il faudrait ainsi entre vingt minutes et deux heures «pour que le vin retrouve ses caractéristiques originelles».
Face à de telles perspectives, test est fait sur un grand cru, bouchonné, issu de la cave de l'Hôtel de Ville de Crissier. La dégustation, réalisée par le sommelier du lieu Christophe Montaud, n'a pas abouti à des résultats probants: du point de vue organoleptique, le vin a gardé après le traitement une odeur de liège humide. Une observation qui ne permet toutefois pas de conclure à l'inefficacité du DreamTaste. En effet, des prélèvements ont été réalisés avant et après le test. Sur mandat du Temps, le laboratoire Exact, à Macon, les a analysés afin de déterminer les taux de TCA par la méthode de la chromatographie gazeuse, avec détection en spectrométrie de masse. «L'échantillon de base était une vraie «bombe», confirme Stéphanie Barthas. La concentration initiale de TCA se montait à 865 nanogrammes par litre (ng/l), alors que le seuil de détection au nez est de 4 à 6 ng/l. Tomber sur un vin aussi bouchonné est très rare.» Après deux heures de traitement au DreamTaste, le taux de TCA était encore de 484 ng/l. Peu étonnant donc que ce vin ait à nouveau été dénigré sans hésitation par Christophe Montaud.
Néanmoins, le DreamTaste a permis d'y réduire presque de moitié la concentration de TCA. On peut donc croire à l'effet de cette invention sur un vin peu bouchonné. Ce printemps, Le Figaro a procédé à des tests sur une bouteille de bourgogne contenant «seulement» 11 ng/l de TCA. Résultat: «Après 45 minutes, l'arôme gênant n'est plus perceptible au nez, mais légèrement au palais. Au bout d'une heure, la molécule a disparu»,.
Pour Gérard Michel, ces deux démonstrations sont convaincantes. Mais pas assez pour les sceptiques, dont fait partie Hervé This. Le célèbre chimiste gastro-moléculaire français doute qu'il soit «possible d'«aller à la pêche» de ces seuls TCA, sans enlever aussi d'autres molécules qui génèrent le bouquet du vin».
A l'heure du bilan, le DreamTaste peut s'avérer utile sur des vins peu bouchonnés, pour lesquels le traitement serait plus ou moins bref: «Le fait d'ôter le goût de bouchon compenserait la légère perte de qualité du vin», estime Sébastien Fabre. Pour des crus très touchés, plusieurs grappes sont nécessaires, chacune ne pouvant servir qu'une seule fois. «Mais cela en vaut-il encore la peine si, au final, le vin ne vaut plus sa réputation?»

[Le Temps-édition du 26 octobre 2005]
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